Alzheimer : ne pas traîner

Évoquer sans retard une maladie d’Alzheimer (MA) et adresser le patient au spécialiste peut lui rendre un immense service à tous les stades de la maladie. Quelle que soit la valeur du Mini Mental Status (MMS) au moment du diagnostic, chaque point compte dans la qualité de vie du patient ; tout doit être fait pour qu’il en perde le moins possible, le moins vite possible. Le diagnostic ne peut être posé avec une bonne fiabilité qu’après un bilan spécialisé et une imagerie cérébrale.

Dr Marc Kreuter (rédacteur), sous la responsabilité scientifique du Dr Florence Mahieux-Laurent (PH, service de neurologie, groupe hospitalier Charles-Foix-Jean-Rostand, 7, avenue de la République, 94205 Ivry-sur-Seine Cedex.

Il doit être certain pour prescrire le traitement anticholinestérasique, qui freine fortement la dégradation du malade. L’arrêt ou la diminution du traitement est toujours à haut risque. Une prescription injustifiée peut être catastrophique.« La maladie d’Alzheimer est aussi grave qu’un cancer, annonce le Dr Florence Mahieux-Laurent, et justifie avec la même rigueur de la dépister, de prendre le temps de faire un bon diagnostic et d’aider au mieux le patient et sa famille. »

Buts du diagnostic précoce

Définir la maladie et la prendre en charge

« Mettre un nom sur ses troubles, nommer la maladie – sans insister douloureusement, souligne Florence Mahieux-Laurent, soulage le patient et l’entourage. De même, faire aussitôt comprendre qu’il existe un traitement et des mesures à prendre pour freiner son aggravation et pour optimiser la vie quotidienne. » L’explication de la maladie aide chacun à avoir une attitude mieux adaptée. On organise toutes les aides (prise en charge à 100 % en ALD, aides à domicile, demande éventuelle d’aide aux personnes âgées – APA) et on débute le traitement.

Un traitement spécifique précoce

Les traitements anticholinestérasiques (donépézil, rivastigmine, galantamine) possèdent une efficacité certaine et doivent être utilisés précocement, à la condition expresse que le diagnostic de maladie d’Alzheimer (MA) soit bien établi. À un stade plus sévère, la mémantine peut prendre le relais (1).

Le traitement n’améliore pas le patient, sauf dans des cas exceptionnels. En revanche, il permet souvent – mais pas toujours – d’enrayer l’évolution de la maladie ou d’en ralentir notablement le cours.

Stabilisation du MMS. Le MMS est l’échelle la plus utilisée dans le suivi de l’évolution de la MA. Le diagnostic précoce permet d’instaurer un traitement qui, dans une étude américaine, entraîne en un an une stabilisation de l’état cognitif de 60 % des sujets, alors que 39 % seulement des sujets non traités étaient peu aggravés, la MA évoluant, en effet, lentement (2). L’idéal serait donc de faire le diagnostic lorsque l’atteinte de la MA est encore très légère ou au moins à un stade où le malade est encore autonome. L’étude de Clark (3) montre que spontanément le score MMS d’un patient atteint de maladie de MA diminue en moyenne de 3 à 4 points chaque année. C’est-à-dire que, partant d’un MMS maximal à 30 – situation rare en pratique courante –, son score se situera entre 2 et 9 à la fin de la septième année.

Réduction de la mortalité et du taux d’hospitali-sation. Une observation sur six ans de patients atteints de maladie d’Alzheimer montre que, dans le groupe non traité, on compte 25 % de décès et 41 % d’hospitalisés, ces chiffres étant respectivement de 15 % et de 22 % dans le groupe traité (4).

Amélioration possible de certains troubles du comportement. Les troubles du comportement chez un patient atteint de MA sont très complexes à analyser et il semble difficile d’apprécier l’efficacité du traitement par anticholinestérasiques sur ces phénomènes. L’influence de l’entourage revêt une très grande importance dans le comportement du patient. Assez souvent, par exemple, l’aidant du patient lui parle comme à un individu sain, alors qu’il devrait lui parler « comme à quelqu’un qui oublie et qui ne le fait pas exprès », ce qui fait naître des disputes injustifiées plongeant le patient dans un état d’agitation, d’anxiété ou de dépression.

Évoquer la MA

Les signes capitaux sont représentés par les troubles de la mémoire et l’apathie (lire tableau 1, critères DSM-IV).

Plainte de mémoire

Il ne s’agit pas de l’oubli de nom des vedettes de la télévision, mais de plaintes du type : « Je ne retrouve pas le prénom de mes petits-enfants. » Ce n’est pas : « Je ne sais plus où j’ai posé mes lunettes », mais « Je sais que j’ai rangé des choses chez moi, mais il m’est impossible de me rappeler où. » Ou bien : « On a dîné avec des amis, et j’ai complètement oublié cet événement. Ma femme me l’a rappelé, mais je ne m’en souviens plus du tout. »

L’apathie

Dans la MA, elle est caractérisée par l’abandon d’activités de loisir auxquelles le patient se livrait passionnément (militantisme politique, confréries diverses, collection, etc.).

Le point de vue de l’entourage est fondamental

Le patient peut formuler une plainte au tout début de la maladie, mais, plus ou moins rapidement, il devient incapable de préciser ses manques ou même de les constater. C’est donc souvent l’accompagnant qui peut objectivement indiquer des éléments de changement dans l’activité du patient.

Valeur des antécédents familiaux

L’existence d’un antécédent familial de MA accroît légèrement le risque de la développer à peu près au même âge. On peut ainsi rassurer pendant de longues années un patient de 65 ans inquiet parce que sa mère a débuté une MA à 85 ans.

Le facteur de risque le plus important est l’âge (prévalence : 0,02 % avant 60 ans, 0,3 % entre 60 et 69 ans, 4 % entre 70 et 79 ans, 10 à 20 % après 80 ans) (5).

Un test simple : le QPC

Questionnaire de plainte cognitive

Le questionnaire de plainte cognitive (QPC), élaboré par Catherine Thomas-Antérion (voir p. 10), couvre les champs de la mémoire et de l’apathie et permet de les évaluer en quelques minutes. Dans le cadre d’un dépistage individuel en médecine générale, ce questionnaire peut se substituer au MMS, qui sera toujours fait lors d’une consultation mémoire pour évaluer et suivre une MA. Toutefois, le MMS reste un bon outil de « débrouillage » pour les médecins qui en ont l’habitude.

Une cote pour le suivi : le MMS

Le Mini Mental Status (MMS) permet surtout de dresser une courbe évolutive de la maladie pour un patient donné. Le score du MMS n’est pas un critère absolu, dans la mesure où il dépend beaucoup du niveau scolaire et culturel du patient. « Un professeur de faculté qui a des plaintes de mémoire, éventuellement pointées par le QPC, peut très bien avoir un MMS à 30/30, précise Florence Mahieux-Laurent. Le MMS d’un patient du niveau du certificat d’études n’est suspect qu’à partir de 26. Les personnes reçues dans l’ensemble des consultations mémoire ont en moyenne un MMS de 20 à la première consultation. Cela signifie que l’on reçoit des personnes avec un MMS à 30 et d’autres à 10, donc très tard, ce qui éclaire les deux ordres de problèmes. Il existe, d’une part, un sous-diagnostic de patients avec des démences déjà évoluées dont on ne s’occupe pas et, d’autre part, un défaut de dépistage vraiment précoce. Ainsi, la moitié des patients français ne sont pas traités. »

Poser le diagnostic

Le diagnostic de MA est difficile à affirmer et reste l’affaire du spécialiste. « Les équipes entraînées ont un taux d’erreur de diagnostic de MA de l’ordre de 10 %. Il s’agit surtout d’erreurs entre MA, démence vasculaire, démence à corps de Lewy, etc., précise Florence Mahieux-Laurent. Les praticiens non entraînés se trompent dans environ 40 % des cas, prenant pour une MA une aphasie vasculaire, un syndrome confusionnel, un hématome sous-dural, etc. »

L’apport du DSM-IV

Ses critères constituent un authentique guide diagnostique.

Critères DSM-IV de démence de type Alzheimer

A. Installation conjointe de :
• un trouble de mémoire (déficit de l’apprentissage ou du rappel de notions acquises) ;
• une atteinte d’au moins un autre secteur cognitif :aphasie, apraxie, agnosie, trouble des fonctions exécutives(stratégies, organisation, conceptualisation).

B. Ces déficits entraînent :
• une perturbation des activités de la vie quotidienne ou du comportement social ;
• un déclin significatif par rapport au fonctionnement antérieur.

C. L’évolution est caractérisée par :
• un début progressif ;
• un déclin continu.

D. Ces déficits ne sont pas liés à :
• une pathologie cérébrale identifiable, susceptible decauser une détérioration (accident vasculaire cérébral, maladie deParkinson, maladie de Huntington, hydrocéphalie à pression normale,hématome sous-dural, tumeur cérébrale) ;
• une pathologie générale pouvant induire une démence :hypothyroïdie, carence en folates, en niacine ou en vitamine B12,hypercalcémie, neurosyphilis, infection par le VIH ;
• une toxicomanie.

E. Ces déficits ne sont pas liés à un syndrome confusionnel.
F. Le trouble ne correspond pas mieux à un état dépressif ou une schizophrénie.

Bilan neuropsychologique

L’évaluation neuropsychologique représente la base du diagnostic. Elle comporte diverses batteries de tests, dont certains plus spécifiques, adaptés à l’état du patient.

L’imagerie

Recommandée par la Haute Autorité de santé, l’imagerie est indispensable pour poser le diagnostic. Elle permet avant tout d’éliminer une autre affection et elle apporte des éléments de diagnostic positif.

Le moment de la prescription est discutable. Le généraliste peut prescrire l’imagerie d’emblée pour adresser le patient au spécialiste avec ce document. Mais il peut être moins agressif pour le sujet de rencontrer d’abord le spécialiste, qui réalisera le bilan neuropsychologique, prescrira l’imagerie, puis annoncera éventuellement le diagnostic au cours d’une seconde consultation, avec tous les éléments en main, et pourra mettre le traitement en route. Ce temps entre les deux consultations permet au patient et à son entourage de réfléchir à la situation et de se préparer à l’annonce.

L’IRM donne les meilleurs renseignements. Elle permet de voir mieux que le scanner les structures basses du tronc cérébral, les lésions vasculaires et les traces d’anciens saignements (mini-hémorragies sur HTA, angiopathie amyloïde). On demande : IRM cérébrale avec visualisation des hippocampes et une séquence écho de gradient (désignée T2* par les radiologues) qui permet de visualiser les saignements même anciens par les traces d’hémosidérine.

L’atrophie corticale, sous-corticale et notamment hippocampique signe la MA.

Une leuco-araïose, souvent mentionnée dans les comptes-rendus radiologiques, n’a aucune spécificité. Une leuco-araïose minime est fréquente et banale, mais des anomalies importantes de la substance blanche nécessitent un bilan complémentaire.

Le port d’un pacemaker est la seule contre-indication, de même que la présence d’éléments métalliques au niveau du crâne, tels que les implants cochléaires. On doit prévenir le patient qu’ils seront un peu enfermés, que l’appareil est très bruyant et qu’il ne devront pas bouger. Mais on peut les rassurer en leur disant qu’il n’y a pas d’injection.

Signes biologiques

Le bilan biologique n’est demandé que pour éliminer une autre pathologie (cf. DSM-IV).

Les critères des travaux de recherche actuels ne sont pas assez spécifiques, ni assez sensibles, regrette Florence Mahieux, qui fonde un espoir à moyen ou plus long terme sur le développement de la scintigraphie cérébrale avec un marqueur radioactif des lésions caractéristiques (plaque amyloïde et dépôts de protéine tau).

Conduite du traitement spécifique

Effets secondaires

Les rares effets secondaires (environ 5 %) sont liés au mode d’action cholinergique, avec accélération du transit et des nausées.

Il faut atténuer le pic d’absorption en évitant de prendre le médicament le matin à jeun ; le meilleur moment est à la fin d’un bon repas midi ou soir.

Pour Florence Mahieux-Laurent, les formes en prise unique semblent mieux tolérées et plus simples à prendre. Effet secondaire fréquent, la rhinorrhée est difficile à traiter, car les anticholinergiques locaux peuvent avoir un effet systémique.

Ces médicaments potentialisant les bradycardies d’autre origine, il faut dépister les éventuels troubles de conduction ou la prise de médicaments bradycardisants (bêtabloquants, antiarythmiques, etc.) avant de les prescrire.

On note un phénomène d’habituation au traitement qui fait recommander sa mise en place par longs paliers, très progressifs.

Les effets secondaires éventuels s’effacent généralement en deux ou trois ans.

Médicaments contre-indiqués dans la maladie d’Alzheimer

Les patients atteints d’une MA sont aggravés par les anticholinergiques.Parmi les anticholinergiques directs, on doit penser à l’oxybutine fréquemment utilisée dans les incontinences urinaires. Les anticholinergiques indirects sont essentiellement représentés par les antidépresseurs tricycliques, les neuroleptiques et apparentés : antivertigineux, antinauséeux – sauf le dompéridone et le cisapride, qui ne passent pas la barrière hémato-encéphalique, certains sédatifs,le véralipride et les antihistaminiques.

Suivi du traitement

La HAS recommande une surveillance du spécialiste annuelle pour réévaluer la pertinence du diagnostic, la persistance de l’efficacité du traitement, le besoin d’aide. Le généraliste peut assurer la surveillance dans cet intervalle (obligatoire tous les six mois pour la HAS), mais des questions difficiles peuvent se poser, concernant notamment l’identification des très fréquents troubles du comportement et leur traitement par psychotrope. C’est pourquoi il paraît prudent de demander l’avis du spécialiste tous les six mois, qui pourra réaliser une évaluation cognitive, un MMS, une évaluation de l’autonomie et vérifiera que le patient bénéficie des aides les plus récentes auxquelles il a droit.

Arrêt du traitement, toujours définitif

Pour Florence Mahieux-Laurent, le traitement cholinergique est poursuivi tant que l’état du malade reste supérieur à ce qu’il serait sans ce traitement, en se guidant sur la courbe du MMS. En pratique, si la courbe évolutive du MMS s’infléchit rapidement (perte de plus de 4 points par an sans pathologie intercurrente), on peut changer d’anticholinestérasique ou passer à la mémantine, ce qui permet parfois de stabiliser la courbe.

Si le MMS chute de un ou deux points par an, Florence Mahieux-Laurent poursuit le traitement, même pour des valeurs inférieures à 10 (hors AMM, qui recommande le traitement entre 10 et 26 de MMS). En effet, elle a parfois constaté des aggravations brutales de l’état de patients à des niveaux de MMS très bas, lors de l’arrêt du traitement.

En revanche, si le MMS continue de plonger rapidement (3 à 4 points par an) en dessous des valeurs attendues sans traitement, elle arrête le traitement.

L’arrêt du traitement ou même la réduction de la dose déclenche généralement un chute brutale du MMS, que la reprise du traitement ne permet pas – ou très faiblement – de récupérer.

Jamais de traitement cholinergique d’épreuve

Prescrire un cholinergique à mauvais escient, c’est-à-dire pour une démence d’une autre nature (vasculaire, etc.), expose le patient à des effets toxiques, en particulier à des accès maniaques.

Par ailleurs, lorsqu’un patient a été mis sous traitement et qu’au cours de l’évolution on doute du diagnostic, la décision d’arrêter le traitement est parfois très difficile à prendre.

Bibliographie

1 - Quelle place pour les médicaments dans la maladie d’Alzheimer ? Questions-Réponses. Site de la Haute Autorité de santé : www.has-sante.fr/

2 - Lopez OT, Becker JT, Wisniewski S et al. Cholinesterase inhibitors alters the natural history of Alzheimer’s disease. Jnnp 2002 ; 72 : 310-4.

3 - Clark C, Sheppard L, Fillenbaum G, Galasko D, Morris JC, Koss E, Mosh R, Heyman A. Variability in annual mini-mental state examination score in patients with probable Alzheimer’s disease. Arch Neurol 1999 ; 56 : 857-62.

4 - Lopez OL, Psychiatric medication and abnormal behavior as predictors of progression in probable Alzheimer’s disease. Arch Neurol 1999 ; 56 : 1266-72.

5 - Lucette Lacomblez, Florence Mahieux-Laurent. Les Démences du sujet âgé, John Libbey Eurotext, 2003.

This article was updated on juin 14, 2022